Le confinement, un puissant révélateur des inégalités d’accès à Internet

Par Pierre Manière  La Tribune

Les 600 habitants de Saint-Malon-sur-Mel (Ille-et-Vilaine) devaient disposer de la fibre en 2018. Mais il doivent encore se débrouiller avec un ADSL de mauvaise qualité.
Les 600 habitants de Saint-Malon-sur-Mel (Ille-et-Vilaine) devaient disposer de la fibre en 2018. Mais il doivent encore se débrouiller avec un ADSL de mauvaise qualité. (Crédits : Google Street View)
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Pour les communes mal couvertes en Internet fixe et en téléphonie mobile, le confinement est d’autant plus difficile à vivre.
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A Saint-Malon-sur-Mel, le maire, Gilles le Metayer, est pour le moins désabusé. Dans cette commune située à 40 kilomètres à l’ouest de Rennes, près de la mythique forêt de Brocéliande, « la connexion Internet n’a jamais été formidable », euphémise-t-il. D’après l’élu, la fibre devait arriver en 2018. Mais aujourd’hui, elle n’est toujours pas là. Au grand dam du maire, qui explique que les travaux ont pris beaucoup de retard. Ici, c’est Orange qui est censé apporter le très haut débit. Mais pour ce faire, l’opérateur historique a fait appel à une cascade de sous-traitants. Et l’un d’entre eux, Axians, qui appartient à Vinci Energie, s’est montré « totalement défaillant », peste l’élu. « Ils m’ont notamment dit qu’ils n’avaient pas de poteaux pour faire passer la fibre », précise-t-il. Résultat : ses 600 administrés doivent encore composer, tant bien que mal, avec un ADSL à bout de souffle.

Côté mobile, la situation n’est pas meilleure. « Des fois on a un peu de 3G, un peu de 4G, et des fois rien du tout », raconte Gilles le Metayer. Il espère qu’un nouveau pylône de téléphonie mobile verra vite le jour. D’autant que la commune a été classée en zone à couvrir de manière prioritaire par le gouvernement dans un arrêté publié en décembre dernier. En attendant, certains habitants vivent, au quotidien, un chemin de croix.

« Certains n’ont ni Internet fixe ni mobile, explique le maire. Pour eux, c’est la double peine. Les gens se débrouillent comme ils peuvent pour avoir un peu de réseau. Parfois, il faut sortir un peu de chez-soi pour capter quelque chose. D’autres se rendent chez des voisins mieux servis… »

« L’enseignement à distance va discriminer des élèves »

Le maire ne se fait pas d’illusions : la période de confinement, qui oblige les habitants à rester chez-eux pour ne pas propager le coronavirus, sera d’autant plus difficile à vivre avec un accès à Internet de piètre qualité. « En temps normal, on sait que certains lycéens éprouvent des difficultés à accéder à Internet pour étudier… », dit-il. Dans le contexte actuel, suivre des cours à distance ou télécharger des supports pédagogiques ne sera pas facile pour tous. Dans les nombreux territoires situés en zones « blanches » ou « grises » où, comme à Saint-Malon-sur-Mel, les réseaux sont peu performants ou inexistants, beaucoup de jeunes vont en pâtir. « L’enseignement à distance va discriminer des élèves, témoignait un professeur du Finistère, jeudi dernier, au site Reporterre. Un village de campagne breton n’aura pas le même débit Internet qu’une grande ville. »

Les collégiens, lycéens et étudiants ne sont pas les seuls touchés. Sans réseaux performants, il est de facto plus difficile, voire impossible, de télétravailler, de s’informer, de garder contact avec ses proches, d’effectuer une consultation médicale à distance, ou de se divertir avec un film en streaming. Le confinement va, à cet égard, braquer les projecteurs sur la fracture numérique qui mine le pays depuis des années. C’est pour combler cette inégalité que les députés Eric Bothorel (LREM) et Laure de la Raudière (Les Constructifs) ont appelé, il y a deux ans, l’Etat à couvrir l’intégralité du territoire national en fibre optique d’ici à 2025. En matière d’Internet fixe, ils ne veulent pas que d’autres technologies moins performantes soient pérennisées dans certains territoires peu peuplés. Au risque d’aggraver, encore, la fracture numérique vis-à-vis des grandes villes.

Dans de nombreux pays où des mesures de confinement ont été adoptées, le problème de la fracture numérique resurgit dans le débat public. C’est le cas aux Etats-Unis. Au pays de l’Oncle Sam, Geoffrey Starks, commissaire à la FCC, le gendarme des télécoms, a pris la plume pour appeler les pouvoirs publics à se mobiliser. Dans une tribune publiée dans le New York Times jeudi dernier, et intitulée « Pour lutter contre le coronavirus, des millions d’Américains ont encore besoin d’Internet », il appelle l’exécutif à prendre ses responsabilités pour réduire, sans traîner, les inégalités d’accès au numérique. Avec les mesures de confinement, il estime que « les prochaines semaines jetteront une lumière crue sur la réalité, déjà cruelle, de la fracture numérique ».

« Des dizaines de millions d’Américains ne peuvent pas accéder ou ne peuvent pas s’offrir de connexion haut débit à domicile, poursuit le cadre de la FCC. Or ils en ont besoin pour le télétravail, accéder aux informations médicales et permettre aux jeunes d’étudier lorsque les écoles sont fermées. » Selon lui, « lorsque la santé publique nécessite une distanciation sociale, voire une mise en quarantaine, la réduction de la fracture numérique devient un enjeu central pour notre sécurité, et préserver notre situation économique ». Un constat qui vaut aussi pour la France.

 

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